SUR LA LOGIQUE PRODUCTIVE (P.L.)
La
logique productive est la logique de l'implication; le but qu'elle se
propose est de préciser le contenu conceptuel de l'implication; elle y
parvient en reconsidérant les valeurs de vérité des propositions, en
reje¬tant toute valeur absolue aux notions de vrai et de faux.
Soit
la variable p; p est identique à lui-même tout en lui étant différent
et différent tout en lui étant identique, voici le vrai sens de
l'expression p = p. Autrement dit, en considérant l'univers de discours
de p, ou son espace logique, on obtient les moments internes de p, à
savoir p1, p2, p3 ..., où, fondamentalement, les valeurs de position
(positional values) peuvent s'impliquer mutuellement, où, contrairement
à la logique traditionnelle, p1 et p2 est équivalent à p1 ou p2, ou à
p1 ≡ p2, etc.
N'importe quelle proposition en logique
productive peut se réduire à une seule variable dans son propre univers
de discours, à savoir: p1, p2, p3, ..., q1, q2, q3, ..., r1, r2, r3 ...
etc. On ne s'intéresse pas ici au contenu empi¬rique mais l'analyse
porte sur les structures de l'univers de discours de p ou q ou bien r.
En
outre, la logique trivalente, qui traite en plus de la notion
d'in¬certain, demeure fondamentalement une logique aristotélicienne,
puisque le concept d'incertain se réfère aux notions de vrai et de
faux, mais la P.L. s'occupe de la détermination de l'identité et de la
difference.
Quel est le sens du signe " = "? Originellement aequalis
et par défor¬mation " ∞ ", ce signe dans son acception habituelle
trouve son sens dans une dogmatique aristotélicienne: la distinction
entre le vrai et le faux; ces valeurs de vérité forment les bases de la
logique du vrai et du faux, alors que la logique productive se présente
comme une logique de la détermination. Ce serait cependant une erreur
de croire que la logique productive rejette la notion d'identité: la
notion d'identité développée par la logique classique est en quelque
sorte un cas particulier de la notion d'implication identité-difference
de la logique productive.
1. Où la logique productive prend-t-elle naissance?
La
logique productive prend ses racines dans une critique du signe
d'égalité. Quand peut-on dire que deux "objets" sont égaux entre eux,
telle est la première question fondamentale?
C'est en développant le
contenu conceptuel d'une seule valeur appar¬tenante à un même univers
de discours, c'est-à-dire les différentes positions spatio-temporelles
de p qu'on arrive à se passer de la distinction arbi¬traire entre le
vrai et le faux. De cette manière, ~p ne veut plus dire qu'il est faux
que p; ~p n'est plus une proposition dont la valeur de vérité est
fausse, mais purement et simplement une nouvelle proposition, issue de
la précédente, p: p' se présenterait comme l'antithèse de p, thèse. Si
p engendre p', on a affaire à l'implication au sens de la logique
pro¬ductive. Dorénavant p peut ne plus impliquer n'importe quoi mais
une nouvelle structure spatio-temporelle de p. Si p représente la
personne de Pierre par exemple, p' Pierre travaillant dur et p" Pierre
réussissant ses examens, alors p' implique p", si on respecte la
structure susdite.
2. L'implicateur: connectif unique de la logique productive.
La
variable ou valeur de base remplace les différentes variables
qu'em¬ploie la logique classique; la logique productive se réduit à une
seule variable et un seul connectif, l'implicateur. Les problèmes du
logicien prennent dès lors un nouvel aspect, puisque l'essentiel est de
déterminer p et son univers de discours; et "considéré en lui-même, un
système formel (n') est (plus) une sorte de jeu arbitraire et dépourvu
de signification exté¬rieure (il ne signifie que lui-même)"2.
Pour
qu'un "objet" puisse impliquer une différence, il faut à l'origine que
cet objet soit identique à lui-même tout en lui étant différent,
confor¬mément au concept d'égalité de la logique productive. Vu
autrement, un "objet" est identique à lui-même si et seulement si cet
objet comprend soi-même comme différence.
N'importe quelle entité
conceptuelle peut avoir son univers de discours: p peut désigner Pierre
mais aussi un arbre, deux arbres, ou d'une façon générale une coupe
spatio-temporelle. Cette coupe spatio-temporelle n'est jamais vraie,
n'est jamais fausse; elle est identité différentiée. Aussi les êtres
mathématiques peuvent-ils être l'objet d'un univers de discours: par
exemple la suite des nombres pairs (ou impairs) peuvent représenter des
valeurs positionnelles qui dérivent de la différentiation d'une seule
valeur. Le monde de la microphysique peut également devenir l'objet de
la logique productive en tant qu'identité différentiée du micro-objet.
3. Quand x est-il egal à y?
On
peut répondre à cela, et selon Russell, que x = y si x et y ont toutes
leurs propriétés élémentaires en commun; mais alors apparaît ici un
nouveau problème: qu'est-ce qu'une porpriété élémentaire? ou encore
quand une propriété élémentaire est-elle égale à une autre propriété
élémentaire? Les critères de l'égalité au sens russellien peuvent
subsister pour autant, il nous semble, qu'on accorde aucun sens absolu
à la notion de propriété élémentaire; en d'autres termes et toujours
selon Russell, x est égal à y si un ou plusieurs prédicats qui
ressortissent respectivement à x et à y sont équivalents entre eux.
Mais on voit ici qu'on a déplacé seulement le problème de l'égalité comme identité statique.
Si
Pierre est égal à Jean, c'est que par exemple Pierre et Jean
pré¬sentent tous deux la propriété de travailler dur; ainsi, on obtient
l'égalité des deux propositions élémentaires suivantes: Pierre est
travaillant dur est equivalent à Jean est travaillant dur. Il convient
de remarquer ici que c'est celui qui compare qui détermine la ou les
propriétés élémentaires des propositions en présence et non pas une
différence essentielle. Expliquons-nous: on pourrait très légitimement
affirmer qu'il n'y a pas d'égalité entre Jean et Pierre, si l'on
considère par exemple les deux propositions suivantes:
— Jean est pouvant nager;
— Pierre est ne pouvant pas nager.
Il
est impossible de réduire une proposition à la proposition élémen¬taire
au sens russellien, si ce n'est d'affirmer que x est a priori une
pro¬position élémentaire sans une différence essentielle; ainsi, pour
reprendre l'exemple précité, Jean, qui est à la fois
Jean-travaillant-dur, Jean-pouvant¬nager, etc., serait réduit à,
disons, Jean-pouvant-nager; on pourrait de la sorte affirmer que
Jean-pouvant-nager est Jean-pouvant-nager; mais il s'agit ici d'une
tautologie, non pas d'une différentiation dans l'identité.
4. Au sujet des qualités propres à la chose.
Il
faut remarquer aussi que les prédicats qui qualifient une entité
quelconque ne sont pas nécessairement des "qualités propres à la
chose"; que "les qualités propres à la chose" est une affirmation
d'origine seule¬ment aristotélicienne. Ainsi, cette porte est en bois
ou ce bois est une porte sont deux propositions où les prédicats jouent
exactement le même rôle. C'est-à-dire que le prédicat peut devenir
sujet.
Cette dernière remarque est d'importance. Imaginons en effet deux objets, soient deux portes ayant des prédicats identiques:
— la porte (x) est en bois; la porte (y) est en bois;
— la porte (x) est ouverte; la porte (y) est ouverte;
— l'angle d'ouverture (x) est de 45 degrés; l'angle d'ouverture (y) est de 45 degrés;
— la porte (x) est se trouvant au centre de mon jardin;
— la porte (y) est se trouvant au centre de mon jardin; etc.
Il
en résulte que la porte (x) est equivalente à la porte (y); et la
ten¬tation serait forte d'ajouter que la porte (x) est la porte (y).
Dans la vie quotidienne, ce n'eût pas été bien grave de poser une telle
égalité, ce l'est certainement en logique. Voici pourquoi.
En
parlant de la porte (x), en la désignant même, en la comparant à la
porte (y), nous posons comme égale non la porte elle-même, il n'est pas
question de "l'essence de la porte" au sens aristotélicien; nous
mettons en parallèle des prédicats propres aux portes x et y; en fait,
on compare seulement une série de prédicats, arbitrairement choisis, de
l'objet x et de l'objet y.
La relation "prédicat-objet" a une
évolution temporelle: ou bien l'évolution est stable ou relativement,
ou bien elle est très variable dans le temps, ce qui est le cas de
certaines particules de l'univers subatomique.
Revenons à notre
exemple: l'objet (x) et l'objet (y). Dans une situa¬tion
spatio-temporelle bien déterminée, un tel nombre de prédicats
arbi¬trairement (et plus ou moins consciemment) choisis font que
l'objet (x) semble se fondre dans l'objet (y); à n'y regarder plus
loin, ils ne font qu'un.
Si l'objet (x) et l'objet (y) ont une
évolution spatio-temporelle, où la coordonnée de temps joue le rôle
primordiale, l'objet (x) et l'objet (y), potentiellement un, vont
bientôt se décomposer en l'objet (x) et en l'objet (y), objet pris ici
dans le sens des chosistes, c'est-à-dire que les propriétés en commun
des objets (x) et (y), x et y étant à l'origine deux entités
potentielles, se seront modifiées.
Au point de vue de la fonction de
l'implication, l'objet (x) implique l'objet (y) et inversement, si une
égalité est posée au départ entre les "propositions élémentaires" des
objets (x) et (y), différenciables poten¬tiellement.
5. A quoi est applicable un univers de discours?
A
n'importe quel objet, pris en tant qu'entité abstraite. Car poser cette
égalité originelle entre l'objet (x1) et l'objet (x2), donc de mettre
arbitrairement en commun des qualités, c'est désigner pour l'objet (x)
son univers de discours. A partir de n'importe quel objet pris au sens
faible, on peut former un univers de discours.
Un arbre qui se
différencie par des feuilles brunes et des feuilles vertes, qui se
différencient à moi, observateur de tous les jours, peut ne constituer
qu'une entité, ne peut faire qu'un pour moi, logicien, qui unit les
couleurs des feuilles dans une même entité conceptuelle, dans un
univers de discours, en choisissant convenablement leurs prédicats.
Il
en découle par ailleurs que l'objet de la physique n'est en aucune
manière la connaissance du monde, mais l'appréhension d'un certain
nombre de relations "objet-prédicat" dans une perspective
spatio-tempo¬relle de l’UD de n'importe quel x. Bien souvent, dire
qu'une propo¬sition est vraie n'a plus de sens que d'affirmer sa
fausseté; une propo¬sition est identique ou n'est pas identique à une
autre; il est toujours possible de trouver les points communs entre
deux propositions quel¬conque, et par là même affirmer leur égalité.
6. L'égalité doit précéder l'implication.
C'est
parce qu'une chose est identique à elle-même qu'on peut poser son
égalité. Egalité entre quoi? Egalité entre ce qui existe en commun dans
le divers d'une entité spatio-temporelle, donc égalité posée à partir
du divers comme égal. L'égalité est la condition nécessaire et
suffisante de l'implication.
La suite de moments spatio-temporels
est nécessairement extérieure à "l'observateur". Dans une autre
perspective, deux propositions appar¬tenant chacune à leur univers de
discours, se différencient (non poten¬tiellement) l'une de l'autre non
pas parce que l'une est vraie et l'autre fausse, mais parce que x1 a
engendré (ou implique) x2. Soit répété en passant, en logique
classique, x2 serait noté par l'expression ~ x, qui a un sens très
différent.
Il va sans dire que si l'on pose comme égaux les
caractères communs à x1 et x2, on voit vite qu'un nouveau univers de
discours peut être construit ici.
A être fondamentalement une
logique de l'implication, la logique productive découvre un nouvel
aspect du contenu de l'implication. Si x1 implique x2, c'est que
d'abord, dans le développement temporel, on pose x1 est égal à x2,
c'est qu'ensuite l'on reconnaît une liaison entre x1 et x2, variables
appartenant au même univers de discours. L'implication logique,
toujours présente dans la logique productive, plus présente
qu'auparavant, a revêtu une autre forme: ce renouveau dans la forme du
raisonnement amène plus de précision dans la façon de raisonner. Sous
l'angle histo¬rique, dans la logique productive, l'égalité entre deux
objets signifiant à la fois que x1 est identique à lui-même tout en lui
étant différent, permet de renoncer une bonne fois à la notion de vrai
et de faux, d'origine toute dogmatique et de conquérir la base
dialectique de la pensée.
1 Membre du Centro Superiore di Logica e Scienze Comparate.
2
J. LADRIERE, Le Rôle du Théorème de Godel dans le Développement de la
Théorie de la Démonstration, Institut Supérieur de Philosophie,
Louvain, tome 47, 1949, p. 473.